| Une révolution est en marche: la base mondiale du marché de l'art est en France...Thierry Ehrmann, fondateur et PDG d'Artprice :"Le marché de l'art a tout-à-fait épousé l'histoire de la mondialisation."
 Artprice est une société unique au monde. En effet, son fondateur, Thierry Ehrmann, 
 a organisé la traçabilité de toutes les oeuvres d'art et de leurs propriétaires 
 respectifs dans la plus grande base mondiale de données. L'entreprise dispose de tous les atouts 
 pour connaître un très fort développement lorsque le marché des ventes sera 
 "libéralisé" sur Internet. Le groupe a publié récemment ses résultats 
 pour le troisième trimestre. Artprice a annoncé un chiffre d'affaires en baisse de 13%, 
 à 1,18 million d'euros, un phénomène que le groupe explique par sa décision 
 de rompre tous les contrats de partenariat avec les medias et les operateurs Internet. Le spécialiste 
 des données sur le marché de l'art souligne que cette décision lui permet de retrouver 
 en direct sa clientèle, avec 100% du chiffre d'affaires acquis. Ces ruptures ne concernent pas 
 le partenariat avec Google. Dans son communiqué, Artprice note que son chiffre d'affaires Internet 
 du 3ème trimestre est supérieur au chiffre de la même période 2008, a périmètre 
 égal, ce qui lui laisse prévoir un retour à la la croissance apres l'attaque DDOS 
 du mois de juin et la crise du marché. Concernant 2010, Artprice prévoit une reprise en 
 volume du marché de l'art et une remontée de la cote des oeuvres, dès le premier 
 semestre de l'exercice. Thierry Ehrmann répond à nos questions. L'Hebdo Bourse Plus :Pour présenter l'entreprise, Artprice est la plus grande base mondiale de données sur 
 l'art depuis que la civilisation existe
 Thierry Ehrmann :
 Pratiquement, puisque c'est depuis le IVème siecle ! Nous gérons 110 millions d oeuvres 
 d art en haute définition avec toute la traçabilite de leurs propriétaires et nous 
 gérons 1 800 000 biographies d'artistes.
 Pour l'instant, c'est une base de données, et non une plate-forme de vente Envisagez-vous 
 d'aller plus loin avec la libéralisation du marché ?C'est une base de données qui a normaliséé le marché de I'art en le 
 rendant homogène. Pour le moment nous ne percevons pas de commissions ou de rétro-commissions. 
 Cette place de marché a démarré de manière propriétaire en 2005 avec1,3 
 milliard d'échanges et ce sera 6,3 milliards cette année, ce qui est quand même 
 extraordinaire en moins de cinq ans ! Pour le moment, ces oeuvres s'achètent et se vendent sur 
 la place de marché normalisée d Artprice. Mais nous ne sommes que regardeurs.
 Vous faîtes peur à certains... On dit que thierry Ehrmann veut être le maître 
 du monde du marché de l'art...Nous avons des conflits ouverts avec certains, comme Christie's. Effectivement ils ne comprennent pas 
 que le temps passe et qu il faut être avec son temps Nous gérons a peu près 2 900 
 maisons de ventes dans le monde et on peut dire que 92 à 93% des maisons de ventes mondiales 
 sont sur Artprice. Nous avons 1,3 million de clients et nous connaissons parfaitement toute leur typologie, 
 donc ce qu'ils recherchent.
 Pour les jeunes artistes, c'est une sorte de Guide Michelin...C'est pareil, c'est une manière fabuleuse d'accéder au monde de I'art. Le marché 
 de I'art est mondial depuis la nuit des temps et I'Internet était fait pour se marier avec le 
 marché de I'art. II fallait simplement normaliser ce marché... On dit que le marché 
 de I'art est hétéroclite mvsterieux et qu'il est fait de sentiments et d'absence totale 
 de réflexion. C'est faux... C'est un marché très cartésien et qui est réfléchi 
 J'ai dit un jour au président de Goldman Sachs : "Le marché de l'art c'est les marches 
 financiers en dix fois plus cruels et dix fois plus intelligents"
 On peut entendre des galeristes dire à leurs visiteurs à propos d'un artiste. "Il 
 est référencé sur Artprice..." Et cela change tout !Le propre d un marché c'est la confiance : Qu'est ce que j'achète ? Quel est son prix 
 ? Quelles sont les liquidités ? Quelle est ma capacité un jour à vendre cette oeuvre 
 ? II y a un certain nombre d'actes patrimoniaux autour de I'oeuvre d art et vous êtes obligé 
 d'avoir une réalité. Si vous n'avez pas un prix sur quelque chose, vous êtes pris 
 de panique !
  Que s'est-il passé cet été ? Vous avez subi une attaque informatique digne 
 d'une série américaine !Nous avons eu la plus grosse attaque en France selon la Défense nationale. Nous avons eu 
 la deuxième attaque la plus importante en Europe, après celle de I Estonie...
  De quelle provenance ?Nous sommes soumis au secret de I instruction puisqu'il y a une commission rogatoire. C'est une attaque 
 qui a duré 18 jours, à laquelle nous avons répondu, et qui a coûté 
 plusieurs dizaines de millions d'euros au mandataire de l'attaque. Donc, ce ne sont pas des pirates 
 qui essaient de prouver leur force ou leur indiscipline... La commande est industrielle ou étatique, 
 les experts nommés par les juges d'instruction sont en cours d'enquête et nous allons délivrer 
 une synthèse dans peu de temps à nos 18 000 actionnaires.
  Donc, certains ont identifié Artprice comme une cible très importante...Comme une entreprise qui détient pratiquement près de 63% des fichiers des collectionneurs 
 mondiaux ! II faut préciser que cette attaque a eu lieu la veille où l'Assemblée 
 nationale devait adopter le texte parlementaire qui permet de reprendre en droit interne la directive 
 communautaire Bolkestein sur les ventes aux enchères électroniques.
 À qui profite le crime ?Le crime profite à ceux qui, peut-être, n'ont pas su basculer dans le XXIème siècle 
 et qui n'ont pas su comprendre qu'Internet, c'est aujourd'hui pratiquement 40% du PIB mondial.
 Des grandes maisons d'art anglo-saxonnes ?Pourquoi pas ? Cela peut être aussi des gens qui ne supportent pas une normalisation et donc une 
 accélération du marché. J'ai souvent dit à Catherine Tasca, qui était 
 une grande ministre de la Culture, que le marché de l'art est fait avec des grands initiés 
 et des victimes... Artprice a fait en sorte que n'importe qui, qui arrive dans une galerie aux quatre 
 coins du monde, bénéficie d'une information digne de celle des grands initiés des 
 années 80.
  Cette attaque a duré quèlques jours et a eu des conséquences sur votre chiffre 
 d'affaires...Oui, mais nous avons bien repris. Pour l'anecdote, nous avons été la première société 
 au monde cotée sur le marché réglementé, avec 20 000 actionnaires, à 
 communiquer dans les heures qui ont suivi les rapports de la Défense nationale. Il s'agit d'une 
 attaque
 DDOS, une attaque par déni de service. Le déni de service, c'est comme si des millions 
 de gens arrivaient dans un grand magasin en forçant la porte. L'infraction est caractérisée 
 au regard du droit français. Ce n'est pas une intrusion par virus, mais des millions de gens 
 qui arrivent sur la même porte... Même le Stade de France craquerait ! Il y a eu des moyens 
 complètement fous et les commissions rogatoires ont été établies très 
 rapidement. Les officiers de police judiciaire ont pu intervenir avec des moyens très importants 
 et nous avons vraiment pu comprendre ce qui s'est passé. Dans les mois qui suivent, on risque 
 d'avoir des surprises, avec un feuilleton qui dépasse la fiction...
  Vous avez publié récemment votre grande enquête sur le marché de l'art 
 dans le monde. Malgré la crise, le marché de l'art continue de bien se porter...À mes yeux, nous venons de vivre la crise la plus importante depuis 1929, même beaucoup 
 plus, parce que c'est une crise identitaire, une crise de conscience, et qui se résoudra, non 
 pas en années, mais en décennies. Alors que tous les critiques considéraient que 
 le marché de l'art subirait les mêmes souffrances que les marchés financiers ou 
 économiques, le marché de l'art s'est très vite corrigé et on peut dire 
 qu'il se porte pratiquement bien par rapport à l'état des lieux. Le marché de l'art 
 est le plus vieux marché du monde, c'est un marché de valeurs refuges, c'est un marché 
 à contre cycle et je dis que quelqu'un qui achète avec intelligence dans le marché 
 de l'art ne peut ressortir - dans le pire des cas -qu'au prix auquel il est entré, ce qui n'est 
 pas le cas dans tous les marchés...
  Cette crise a fait descendre quelques marches au monde occidental, alors que d'autres pays, comme 
 le Brésil, la Chine ou l'Inde, ont grimpé des marches...Le marché de l'art a tout-à-fait épousé l'histoire de la mondialisation. 
 Cette crise, c'est celle de l'ingénierie financière mais, au-delà de tout, c'est 
 la crise de la suprématie de l'homme blanc qui considérait que son modèle, sa pensée 
 et sa philosophie s'étendaient à l'infini et qu'il détenait la vérité. 
 La Chine, c'est une longue marche... Je l'ai écrit il y a quelques années dans le Financial 
 Times, en annonçant que la Chine survivrait à tout... Le marché de l'art continue 
 de plus belle et je pense que nous allons assiter à une explosion des artistes chinois lors de 
 l'exposition universelle de Shanghai.
  Pourquoi, dans ce séisme, l'Europe - et particulièrement la France - continue-t-elled'être particulièrement touchée ? Au Brésil, en Inde ou en Chine, on ne pense 
 pratiquement plus à la crise !
 Exactement. Nous sommes dans une vision très kantienne, une sorte de paix perpétuelle 
 de Kant, par rapport à une Amérique de Clausewitz et, quelque part entre Kant et Clausewitz, 
 il y a un troisième larron qui regarderait vers l'Est. L'histoire du XXIème siècle 
 part de l'Ouest pour arriver à l'Est... Qu'on le veuille ou non, nous sommes dans la crise profonde 
 d'un Occident qui n'a pas regardé ce qui se passe à l'Est. Nous avons toujours imagine 
 que les pays "émergents" - terme poli - étaient dépendants de nous. C'est 
 un peu le rapport du maître et de l'esclave. Peu à peu, l'esclave acquiert le pouvoir du 
 maître pour
 devenir le maître un jour. Aujourd'hui, il faut entendre qu'à l'Est le maître est 
 né et que l'esclave est affranchi. L'Est est affranchi et, lorsque je parle de l'Est, cela commence 
 par les anciens pays frères de la Russie, jusqu'à la Chine, empire millénariste 
 qui s'est conforté au fil des siècles et dans lequel l'espace temps n'est pas le même 
 que le nôtre. Aujourd'hui, on voit vraiment une période historique se réaliser devant 
 nous. Il y a un peu de mépris dans ce terme de pays "émergents"... On a fait 
 un gros effort de dialectique, puisque l'on est passé d'un tiers-monde indigent aux pays émergents 
 ..
 On ne se rend même plus compte que nous sommes des sortes de "désémergents"... 
 En réalité, nous sommes dans une sorte de déconstruction de Derrida et je crois 
 beaucoup à la jeunesse et à la résurgence de l'esprit européen, aux forces 
 de l'esprit, mais nous avons une contrition - au sens catholique et apostolique - à faire, car 
 nous ne nous sommes pas rendu compte de ce qui s'est passé. Nous ne sommes pas dans les années 
 70 avec le Maghreb, mais dans un XXIème siècle qui bouleverse tout, une lame de fond sans 
 pareille, dans lequel il faut que nous apprenions avec humilité qu'il existe un ailleurs. Notre 
 regard ne doit pas normaliser le monde à travers la finance ou la science... Il faut relire Ijévi-Strauss, 
 qui vient de mourir et qui, en tant qu'anthropologue, a dit un mot qui résume toute l'histoire 
 : "Le passeur".
  Pourquoi n'avez-vous jamais quitté la France ?Je suis dans ma Demeure du Chaos...
 
  Mais on vous fait plein de misères...Oui, mais c'est un univers particulier, dans lequel il y a des milliers d'oeuvres d'art et dans lequel 
 nous sommes reliés au monde. Quelque part, nous sommes là et là bas à la 
 fois... Nous avons ce regard du monde, qui est plein d'amour pour l'Est et l'Ouest en essayant d'imaginer 
 qu'il peut y avoir une rencontre, un nouveau carrefour d'échanges, vers 2010-2015 entre l'Est 
 et l'Ouest... Je crois que l'Occident est face à un véritable challenge : Où sommes-nous 
 ? Que faisons-nous ? Il y a un acte de réflexion, une sorte d'analyse lacanienne sur nous-mêmes 
 qui doit être très violente et dont on ne sortira pas indemne. L'Internet en est la mutation 
 exacte. Le monde a évolué plus rapidement ces vingt dernières années qu'au 
 cours de ces trois derniers siècles. Il faut l'entendre. L'art peut nous permettre d'acquérir 
 cette conscience... L'art, c'est d'abord un supplément d'âme, c'est quelque chose qui par 
 nature n'est pas normalisé et par nature en rupture avec le contrat social. L'art, c'est un refouloir, 
 un sentiment dans lequel on peut encore trouver quelque chose.
 propos recueillis par Yannick Urrien copyright ©2009 Hebdo Bourse Plus |